Rencontre

Place de Clichy se trouve une librairie que j'aime et fréquente assiduement. Et depuis quelques jours mon regard a été attiré par un petit groupe de femmes qui se tient immobile devant sa devanture. Elles ne voient pas les livres, leur tournent le dos, ne regardent que la rue. D'un regard ou se mêle mélancolie et dureté et qui a tout de suite capté mon attention. Elles n'ont pas d'âge, pas de beauté. Elles parlent une langue étrange, sans doute d' Europe de l' Est. Elles portent des vêtements de pauvres qui moulent des corps informes. Elles attendent. Attendent qu' un homme veuille d' elles, évidemment. Quel genre d' homme peut désirer ces femmes? Elles sont le tableau de toutes les misères humaines. Peut on avoir envie de...je ne trouve pas de mot. Ce qu'il y a dans leurs regards, c' est une connaissance des désirs et des pulsions des hommes que leurs corps abîmés suscitent.

Suis je le seul à les voir, à être poursuivi par leur souvenir après avoir quitté la place? Je ne peux m' empêcher de me demander ce que ces femmes attendent de la vie. Leur avenir c'est un corps qui s'enlaidit de plus en plus, des tarifs qui baissent, des clients de plus en plus infâmes, des maquereaux qui les abandonnent.

Et leur passé? Il y a bien eu un moment où la fatalité a entrepris sa marche implacable. Est-ce dès la naissance? Ont-elles eu un âge où elles ont rêvé comme rêvent tous les enfants?