Faisons attention

Savez vous quelle est la chose la plus importante dans notre monde, celle autour de laquelle toutes les valeurs tournent, s'ordonnent et s'échelonnent? L'argent? Le pétrole? L'or? Pas du tout, ce qui gouverne le monde, c'est l'attention. L'attention qui est portée, par qui elle est ou n'est pas portée,sur qui ou sur quoi elle est ou n'est pas portée. C'est la thèse que développe un essayiste interviewé cette semaine dans le Nouvel Observateur, Yves Citton.

Prenons l'exemple du terrorisme. Quelle est son but, quelle est sa force? Attirer l'attention du monde. Par sa mise en scène, par l'obscénité de ses postures, il accapare l'attention et occupe une place bien supérieure à ce qu' il serait en droit d'espérer. Au départ, quelques morts tout au plus par an, très peu dans nos pays, puis de plus en plus au fur et à mesure que la force de l'attention qu'il capte prend de l'ampleur.

Le phénomène est certes autant inquiétant que répugnant. Mais il en est d'autres autrement plus importants dont on ne parle guère et qui font rarement la première page des journaux. La détresse de tous ceux qui ont l'impression de ne pas compter, qui souffrent de ne pas se sentir dignes d'attention de la part de la société en marche. La faim. Toutes les six secondes, un enfant meurt de faim dans le monde. La maladie, la misère, l'injustice, l'ignorance, l'incompréhension. Mais l'attention du monde a été focalisée sur le terrorisme plutôt que sur toutes ces questions.

Si on n'accorde pas d'attention à un adolescent, il va se promener déguisé en punk, en gothique ou en racaille pour bien se faire remarquer. C'est peut être parce qu'on n'accorde pas assez d'attention à la jeunesse d'origine extra européenne qu'on voit de plus en plus de femmes voilées dans nos rues, de plus en plus de jeunes qui se tournent vers les formes délirantes d'engagement.

Le monde entier est un vaste manège ou chacun lutte contre tous les autres pour attirer l'attention. Le puissant, c'est celui que les autres regardent. Le malheureux celui dont personne ne parle. Internet est l'ultime forme de ce phénomène. Si les Etats Unis avaient dépensé autant de centaines de milliards de dollars à soutenir l'agriculture, l'éducation, la santé qu'il en a dépensé à combattre le terrorisme, peut être n'y aurait-il pas eu de terrorisme à combattre.

Il conviendrait d'inverser le sens de cette guerre de l'attention. Que les hommes se préoccupent le l'accorder plutôt que de la capter.